Il me semble intéressant dans un premier temps de vous parler de la carrière de I Jahman, ça
ne peut pas faire de mal et cela vous permettra de mieux comprendre nos questions (et bien
sûr ses réponses !).
Alors voilà, il est né le 19 juin 1946 à Manchester en Jamaïque dans les montagnes de
Christiania. Son nom,Trevor Sutherland, c'est à Kingston qu'il part faire ses études et qu'il
rencontre J.Higgs qui sera son professeur de chant. Son premier morceau "Red Eyes
People", il l'enregistre pour Duke Reid à l'âge de 12 ans.
En 1962, avec l'indépendance sa famille part vivre en Angleterre où, il va monter le groupe
Vibration. Bien sur, il y est chanteur ! . Ils vont jouer dans des salles tel que le Q-club, aux
cotés d'artistes comme Wilson Peckett et Billy Stewart.
Comme tous les groupes, Vibration se séparent, et I Jahman qui chante à l'époque sous le
nom de The Youth va intégrer successivement deux groupes : Youth&Rudie puis Shell
Shock Show. Avec ce dernier, il tournera hors d'Angleterre et enregistrera deux singles Soul
pour Polydor et Decca. On est alors en 1967, 1969.
1970 va être pour lui une mauvaise année puisqu'il se retrouve en prison pour 3 ans. Il
change alors de nom et devient I Jahman. Il écrit " Jah Heavy Load", chanson qui déclare au
grand jour son nouveau nom et sa foi en Rastafari.
En 1974, il est libéré mais sa femme l'a abandonné, il se retrouve alors seul avec nul part ou
aller.
La maison de Rastafari à Saint Agnès Street sera son refuge, et c'est là qu'il intégrera les
Douze Tribus d'Israël. Il devient alors I Jahman Levy.
En 1975, il enregistre "Jah Heavy Load" sur Concrete Jungle son propre label. Les choses
vont alors s'accélérer pour lui, il va faire les chœurs sur l'album de Rico Rodrigues "Man from
Wareika" et être remarqué par Chris Blackwell himself ! . Ce dernier va lui proposer
d'enregistrer deux titres.
Riche de ce nouveau contrat en 1977, il se rend en Jamaïque à la recherche d'un producteur.
Geoffrey Chang sera son homme et ce qui au départ ne devait être que deux titres, donnera
deux de ses deux meilleurs albums : "Haile I Hymn" et "Are we warrior". Ces deux derniers
seront réalisés entre 1978 et 1979 sur le célèbre label Island.
A partir des années 1980, il va se mettre à produire lui-même et il crée donc deux labels : Tree
Roots Records et Jahmani. Il va aussi énormément voyager, se rendant notamment en
Gambie et au Zimbabwe.
En 1985, il enregistre avec sa compagne de l'époque Madge, le morceau "I do" qui resta
pendant 6 semaines dans les charts anglais : ceci reste à ce jour son dernier grand succès ! .
Depuis 10ans il multiplie les sortis d'albums (plus d'une quinzaine), mais pas forcements
synonymes de qualité. Son dernier en date se nomme "Arkart", et le dernier titre "Slave
Driver" semble être là pour faire taire la critique et nous montrer qu'il est toujours capable de
grandes choses. I Jahman Levy is alive ! ...
Au bilan, il a sorti plus de 27 albums et joué au coté des plus grands : China Smith,
Sly&Robbie, Lloyd Parks, Ras Michael, Steeve Winwood, Geoffrey Chang, Eric Clapton... So
big respect.
Cette fois ci, vous savez tout, en tous cas sur sa carrière. Nous l'avons donc rencontré pour
vous à Marseille. C'est un homme solitaire et soucieux qui s'est présenté devant nous. Le
succès s'est vrai n'est actuellement pas au rendez-vous et il semble être poursuivi par des
problèmes familiaux. Malgré tout cela, il reste une légende du reggae et il a pour satisfaction
premiére, à l'instar de beaucoup d'artistes jamaïcains, d'avoir pu garder le contrôle de sa
carrière.
Rendez-vous, au Terminal Export de Nancy, après ma foi un bien bon concert, dans une
ambiance survoltée, nous entrons en piste et nous présentons pour rencontrer Pablo.
Problème, les musiciens fatigués par le déplacement ont refusé de jouer plus longtemps.
Bilan, Pablo est furax et nous de notre coté n'en menons pas large. Nous prenons notre
courage à deux mains et nous présentons devant lui .
Notre audace est bien récompensée, puisqu'il nous reçoit avec un large sourire et nous
offre un bien agréable moment.

Quels sont tes projets pour le futur ?

J'ai pas mal de nouveaux titres mais j'attends le bon moment pour entrer en studio ;
j'attends de rencontrer des personnes qui soient motivés comme moi.
En attendant, je continue à écrire (comment pourrais-je arrêter, il y a tellement de choses
à dire sur ce monde), tout m'inspire et je joue de cette inspiration !



Remerciements à Globe Music, la radio Fajet, Seven,Severine et bien sur l'homme Pablo.


Tu as sorti une anthologie récemment, est ce pour marquer un nouveau départ dans ta
carrière ?

La vie est pleine de nouveau départ, je voulais surtout que les gens puissent prendre
connaissance de tout ce que j'ai fait dans le passé. Que les jeunes comme les vieux, qui
n'avait pas pu entendre la totalité de mes morceaux puissent enfin le faire.
D'autre part et ça je ne m'en cache pas j'ai une famille à nourrir !


Au cours de ta tournée tu as du voir que le reggae se développait en France, que
penses-tu de cela ?

Je trouve cela positif ! Ils ont plus de promotion et gagne plus d'argent que nous mais
c'est légitime : ils sont français et vivent ici.
Cela montre que la Jamaïque arrive à avoir de l'influence un peu partout dans le monde.
Aujourd'hui, il y a de plus en plus de rasta et c'est le genre de choses qui y contribue.


Quel est ton avis sur le boggle et sur les valeurs que certains défendent ausein de ce
courant musical ?

Certaines personnes font la promotion des armes et insistent sur la nécessité d'en
posséder pour se défendre, ils ont une attitude de débauche sexuelle et je condamne
cela. Mais malgré tout, il y a des choses positives, RAGGASONIC par exemple
semblent dire des choses justes !

Que penses-tu des gens qui se soucie peu du message de votre musique ?

Il y a une catégorie de personnes qui avant tout dansent sur le reggae et
éventuellement écouteront le message : c'est un début et je n'ai rien contre cela ; un
début vers une route positive !
La patience est une vertu et les rastas le sont ; nous savons que peu à peu les
gens comprennent ce que nous disons. Marley est le meilleur exemple puisqu'il n'a
acquis de la notoriété qu'après sa mort, et qu'il avait des le début mis le doigt sur
des problèmes encore d'actualité.

Peux-tu nous parler de la situation actuelle en Jamaïque ?

J'aimerais que les gens viennent visiter mon pays, mais on dit tellement de choses sur
cette île ; les Américains les premiers ! Ils veulent le contrôle du tourisme que les gens
viennent chez eux (Virgin island par exemple).
Chaque endroit a ses bons et mauvais côtés, nous ne sommes pas parfaits en Jamaïque.
Mais n'oublions pas que nous n'avons eu notre indépendance qu'en 1962 et donc que
nous sommes une république en construction.

Quel est pour toi l'avenir du mouvement Rasta?

Il va devenir de plus en plus important car Tafari nous a tous crée et que nous sommes
tous rastas : il faut le ressentir et après le manifester. Si tu ne le ressens pas alors tu ne
pourras pas en faire partis. Beaucoup, de gens sont conscients de cela et nous
rejoignent.Je ne suis pas mieux que vous et vous n'êtes pas mieux que moi et cela nous
le savons !
pourtant dans certaines communautés se n'est pas le cas, il faut changer cela à tous
prix ! Si je me coupe tu verras le sang et il en sera de même pour quiconque sur cette
terre : une maison est une maison, l'extérieur peut être diffèrent mais l'intérieur reste le
même ! Tout le monde a un cœur et des poumons pour respirer ; et de ce fait, le droit de
vivre sur cette terre.
Les rastas veulent l'égalité et la justice pour tous !

Certaines personnes disent que les rastas et en particuliers les bobos dreads font
l'apologie d'une race, es-tu d'accord avec ça ?

Pour moi il n'y a qu'une race et c'est la race humaine, pourtant certains se disent
supérieurs ; il n'y a qu'un seul monde et pourtant il existe un tiers monde. Beaucoup de
personnes sont conscientes de selon je te parle et ils sollicitent le contenu de notre
message. Sizzla et Capleton sont sollicités même en occident car ils dénoncent la
corruption. Regarde tout le monde est hypocrite à ce sujet, nos dirigeants les premiers !
Il n'y a qu'à regarder les guerres, les innocents tués et cela pourquoi ? Il y a trop de
ségrégation et d'humiliation construite autour d'une seule race qui détruit les autres.
Regarde les aborigènes, les Indiens d'Amérique, regarde ce qu'on leur a fait et que l'on
continue à leur faire ! et malheureusement ils ne sont pas les seuls. Je trouve normal que
les victimes de l'holocauste soient remboursées pour les souffrances endurées mais
qu'en est- il de toutes les victimes de l'esclavage ? Ça si se n'est pas de l'hypocrisie alors
qu'est ce que c'est ?
Parfois je discute avec les jeunes bobos et je ne trouve pas leur discours raciste. Je sais
que nous avons tous des préjugés et que nous devons faire avec ;que le racisme c'est
autre chose et que c'est bien plus grave !
Les rastas essayent de dire qu'il n'y a qu'une race supérieure et c'est la race humaine.
Qu'on le veuille ou non la terre a été faite pour tous et non pour qu'un peuple préside !
Regardez les plantes, les animaux, ils vivent en harmonie avec la nature, ce n'est pas un
problème pour eux ! pour nous ce n'est pas le cas !
Les bobos ne font rien de mal, ils ne sont que l'intensification de ce que nous voulons
qu'ils soient et qu'il arrive dans ce nouveau millénaire. Nous avons comme vous le droit à
une culture et à un dieux : comme un arbre sans racines sans cela nous mourrons ! Les
rastas font le liens avec ces racines et ça les rend plus fort.

Joe Higgs est connu pour avoir été le professeur de chant des Wailers, des Mighty
Diamonds, et de beaucoup d'autre. Peux-tu nous parler de l'époque où tu étais son élève,
et de ce qu'il t'a appris ?

Tous cela c'est passé dans mon enfance entre l'âge de 12 et 16 ans, quand j'ai voulu
devenir chanteur et que je l'ai rencontré. Joe Higgs, est pour moi quelqu'un de trés
important, il m'est venu en aide, m'a appris à écouter mes aines, les autres chanteurs et à
apprendre d'eux. Il était mon artiste préféré, celui que j'écoutais et à qui je voulais
ressembler. L'harmonie est quelque chose de trés difficile dans la musique : beaucoup de
gens peuvent chanter mais trés peu d'entre eux peuvent faire des harmonies. Pour moi Joe
Higgs savait le faire et c'est ce que j'aimais. J'ai donc essayé de faire comme lui, il m'a
assistait et me reprenait quand il le fallait. C'est pourquoi je site souvent son nom, je lui
dois beaucoup et même s'il n'est aujourd'hui physiquement plus avec nous, son nom
continu d'exister.

C'est durant ton séjour en prison que tu as pris pour nom de scène, I Jahman, quelle est
la raison de ce choix ?

Dans la vie nous avons tous des rêves, et même s'ils nous paraissent irréalisables avec la
volonté tout nous est permis. J'avais cette volonté, ce pouvoir en moi, celui de briser les
murs, de briser Babylone ; de devenir un homme avec des racines. Je te parle de prison, un
endroit où tu peux te retrouver que tu sois coupable ou non. Là-bas, je suis devenu un
numéro, et je ressentais tout cela, je savais que ma vie changerait car j'avais perdu ma
femme et mes enfants. Avant d'y entrer, tous cela était en moi, mais c'est dieu qui m'a fais
réaliser vraiment.
Ce n'est pas facile d'avoir une famille, du succès et de tout perdre en un clin d'œil. Mais
j'avais une voix et je me suis dit vas-y ! Ma premiére chanson, celle où je m'identifie comme
I Jahman a été "Jah Heavy Load". J'y parle de la réalité, de beaucoup de vérités, et pas de
fiction.

A ta sortie de prison, tu t'es retrouvé sans toit et tu as trouvé refuge à la maison de
rastafari ; que t'ont appris les Douzes Tribus d'Israël ?

?
Je ne dirais pas quelle m'ont appris quelque chose car la vie en elle-même est une leçon.
J'étais un rasta qui sortait de prison, et j'ai appris à ma sorti que j'étais un Levy, à cause de
mon mois de naissance, le mois de juin. Quand je suis retourné en Jamaïque, et que j'ai
découvert les Douzes Tribus dans leur totalité, je me suis alors tourné vers la voie
spirituelle. Avant en prison, je lisais la bible mais pas un chapitre par jour ! Quand chaque
jour, tu apprends une nouvelle leçon alors ça ne peu que te discipliner : physiquement,
spirituellement, mentalement, etc. Je me suis donc mis à lire la bible régulièrement : il faut
trois ans et sept mois pour la lire en entier. Je l'ai déjà lu trois fois et cela m'a pris treize
ans. Il m'arrive d'oublier, personne n'est parfait et on a pas tous les jours envie de prier
dieu.


Dans ton dernier album, il y a énormément d'instrumentales de Bob Marley, le dernier
titre s'appelle même Slave Driver ; est-ce un hommage à Bob, dont c'est, cette année, le
vingtième anniversaire de la mort ?
Tu sais, ce sera toujours un hommage à Bob Marley, à cause de son formidable travail et de
son adhésion à notre nation. Mais cet album n'a rien à voir avec Bob Marley, il est trés
personnel, si tu regarde les différents titres : "Money woman ", "Mystive Lady", "Woman
and man inna one", cela, a voir avec mes expériences, avec ma vie ! .
"Slave Driver" est un morceau qui nous ramène douze ans en arrière, et tu noteras d'ailleurs
que c'est le seul morceau de l'album avec une vraie batterie. Il correspond à une période de
ma vie, à des relations que j'ai eu à vivre à ce moment là.


Peux-tu nous parler un peu de ton dernier album "ark art " ?

C'est comme une grande histoire de "Armagedeon" à "Bun bun", avec "Ark art"(tu sais
Arkart est un titre trés spirituel, trés fort!),"Mystive lady", " Man and Woman inna one",
etc... c'est juste I Jahman Levy sur un riddim et rien d'autre ; car ce que je ressens, c'est ce
que j'écris ! .


Dans ta carrière tu as énormément voyagé, tu as d'ailleurs étais plusieurs fois jouer en
Afrique ; est-ce que tu te concidéres comme un ambassadeur du reggae ?

J'ai du le chanter il y a bien longtemps sur l'album "Take Farms" ; dans le morceau "Tell it to
the childrens" j'ai du mentionner le mot ambassadeur ! C'était comme une vision avec des
gens qui mourraient, c'était un rêve à cette époque ! Un rêve qui a determiné ce que je suis et
d'où je viens. Tu ne dois jamais oublier d'où tu viens, que se soit bon ou mauvais... je ne suis
pas en train de te parler de mon enfance, d'où je suis née ; mais de Islands, de Chris
Blackwell, se fut comme une école pour moi et j'y ai appris beaucoup de chose.


Pour finir, peux-tu nous parler du dancehall, de cette nouvelle forme qu'a pris le reggae ?

Yeh man, j'aime ça ! Tu sais la musique et mon business et, je possède actuellement en
Jamaïque un gros sound system. J'ai un gros sound, mais à cause de mon nouveau
changement de vie et de mes problèmes avec ma dernière famille (il entend par-là, Madge et
les enfants qu'il a eux avec elle), j'ai du mettre ça de coté : je dois d'abord penser à ma vie !
Je mets toutes les mauvaises choses derrière moi et, je ne m'occupe plus que des choses
positives. C'est sur parfois, tout ça me trotte dans la tête, je ne suis pas parfait. J'ai compris
une chose, la perfection ne peut être atteinte quand vivant : on est un homme, pas, pour ce
que l'on dit, mais pour ce que l'on fait ! .

Remerciement à Radio Galère, Remy du Discover, à
Océane du Moulin, à I Jahman et ses musiciens.
Interview réalisée par Seb CHEVALLIER et S.PINEDA.